RÉSIDENCE : MA DETTE

d’après Le Roi Lear de William Shakespeare

Thibaut Wenger


En 2022, à l’occasion d’un atelier mené avec des élèves en parcours professionnel en hôtellerie restauration dans une école du Mans, je suis interpellée par la redondance d’un élément de langage dans leur discours : « Je me sens redevable, j’ai une dette envers mes parents ». Sous-entendu : « Mes parents paient, me permettent de faire des études, cela leur coûte, je ne peux pas me louper, il faudra que je rembourse. » On pourrait se dire : « Les bonNEs gaminEs, iels ont conscience du poids économique qu’iels font peser sur les épaules de leurs parents quand celleux-là permettent à leurs enfants de suivre une formation professionnelle. » Comme si chaque famille faisait don de tout à ces enfants. Comme si les parents aux 18 ans de leur progéniture allaient envoyer la facture détaillée des frais engagés depuis la naissance du bébé. Comme si enfanter, c’était investir sur l’avenir. Comme si l’amour n’était finalement pas quelque chose d’inconditionnel, mais un amour sous condition, un contrat modestement précaire soumis ou non à reconduction en fonction de la direction du vent.

Qu’est-ce qui est à l’origine de ces principes de dépendances et d’interdépendance ? Quel est la nature des rapports qu’induisent et imposent don et dette entre les générations ? Pourrions-nous inventer des relations échappant au poids de la dette ? De quoi la dette est-elle le nom dans nos sociétés occidentales.

Le Roi Lear m’est apparu comme la pierre de touche à partir de laquelle je souhaitais travailler. Ce texte met explicitement en scène un affrontement entre générations jeunes et âgées qui peut se lire comme un conflit autour de la méconnaissance tragique du don. En transmettant son royaume à ses filles, le patriarche met en place un mécanisme selon lequel une obligation absolue de rendre doit répondre à la totalité d’un don absolu.

J’aperçois la possibilité dans l’oeuvre de Shakespeare, de questionner en quoi la question de la dette traverse nos vies dans nos recoins les plus intimes. Dans un geste palimpseste, je souhaite entrer en dialogue avec ce texte et chercher à saisir la façon dont cette oeuvre aujourd’hui nous regarde singulièrement.

Ecriture Magali Mougel Mise en scène Thibaut Wenger Avec Nina Blanc, Lena Dia, Thierry Hellin, Joséphine de Weck… (en cours) Scénographie Boris Dambly Costumes Claire Schirck Musique et sons Thomas Caillou, Geoffrey Sorgius Assistanat mise en scène Ijjou Ahoudig

Production Premiers actes, en association avec Opus89 Création septembre 2026 au Théâtre Océan Nord à Coproduction Théâtre Océan Nord, La Filature – scène nationale, Mulhouse, Espace 110, SCIN d’Illzach. En cours…