L’Odeur des arbres à Ouaga

à paraître en août dans Koffi Kwahulé, édité aux Éditions Classiques Garnier sous la direction de Sylvie Chalaye.

en salle de répétition à Ouagadougou

Isabelle Pousseur a contribué à l’écriture d’un ouvrage dédié à l’œuvre de Koffi Kwahulé, édité aux Éditions Classiques Garnier sous la direction de Sylvie Chalaye.
Son texte porte sur la création burkinabé de L’Odeur des Arbre en octobre 2014, commande passée à Koffi Kwahulé pour quatre acteur·rice·s burkinabé. Le spectacle a ensuite été présenté au Théâtre Océan Nord en janvier 2015. Plus d’infos sur le spectacle dans nos archives

En attendant de pouvoir vous procurer un exemplaire à la Librairie du Théâtre Océan Nord, découvrez trois extraits du texte d’Isabelle Pousseur ci-dessous.

[…] Les personnages de l’Odeur des arbres sont grands, complexes, mystérieux, ils me rappellent ce que dit Deleuze dans l’Abécédaire, parlant des personnages de roman et plus particulièrement du baron de Charlus dans À la recherche du temps perdu : « Un personnage de roman, c’est une puissance, c’est plus que la vie, ça dépasse la vie… » C’est exactement cela que je ressens, nous devons imaginer ces personnages dans leur complexité, étudier ce qu’ils disent et ne disent pas, ce dont ils se souviennent ou ne se souviennent pas, ce qu’ils montrent ou ce qu’ils cachent, et parfois tout cela en même temps. Mais à partir de là, nous devons aussi rester légèrement en deça d’eux, toujours un peu dépassés, un peu incertains, comme si nous leur laissions la possibilité de nous surprendre encore et encore… […]

[…] À 18h15, nos quatre quartz s’allument et c’est comme si, tout d’un coup, tout se transformait en théâtre. C’est étrange, les habitants restent assis sur leurs bancs, les enfants, quelques poulets et deux très petits chats continuent à gambader un peu partout et cependant, j’y crois, je crois à Loropéni, à la véranda de Zein’ke, aux éperviers qu’elle croit apercevoir près de nuages rouges immobiles et à la douleur de Ezgi, assis contre un tronc d’arbre, figé, éteint, plongé très profondément en lui-même. Je crois à la route, à l’enfant de Zein’ke joué par la fille d’Anatole qui dort sur une natte à même le sol de la terrasse, à Shaïne et Naa’ba qui dansent et éprouvent toujours du désir l’un pour l’autre, à Ezgi qui se défonce à la batterie et à Shaïne entraînant le vieux gardien dans son rêve d’offrir à son père mort des funérailles dignes, avec fanfare, parapluies et pas cadencés… Les mots de Koffi Kwahulé résonnent dans cette nuit ouagalaise, jamais vraiment silencieuse, ponctuée de cris d’enfants, de bruits de motos, de djembés et d’appels à la prière. […]

[…] La révolution burkinabé a lieu pendant la semaine de représentations des Récréatrales. C’est énorme, toutes les émotions sont à vif, les gens ne dorment pas, parce qu’ils sont dans la rue ou parce qu’ils écoutent la radio toute la nuit. Le premier soir, un couvre-feu empêche la tenue des représentations, le lendemain le couvre-feu est -dit-on- levé, les spectacles ont lieu mais personne ne traverse la ville pour venir jusqu’au quartier Gounghin. Le festival invite alors tous les jeunes du quartier à venir voir les spectacles. Chez nous, dans la cour des Ouango, ils forment le gros du public, excités mais attentifs. Parmi eux se trouve Hildevert Méda, un acteur et metteur en scène burkinabé que je connais depuis plusieurs années. Il vient nous trouver à l’issue de la représentation : « Essayez de convaincre Koffi Kwahulé de revenir à Ouagadougou pour nous apprendre comment raconter des histoires » nous dit-il. Il le répétera une dizaine de fois pendant que nous nous rendons lentement jusqu’au maquis principal, là où se trouve le podium sur lequel ont lieu les concerts. Je suis touchée de cette remarque et convaincue qu’il a raison, non seulement parce que je sais que Koffi est un grand pédagogue, non seulement parce que l’Odeur des arbres est une histoire formidablement bien racontée mais aussi parce que je suis convaincue que la manière dont il s’est éloigné du continent africain,  dont il assume sa position d’écrivain de la diaspora, -comme il le dit lui-même-, lui donne une pertinence, une acuité et une singularité indispensables à la construction d’un geste artistique riche et complexe dans l’Afrique d’aujourd’hui. Un geste construit sur une pensée non volontariste, non dominante, incluant toutes les différences, pas seulement celles qui servent un discours pré-établi, convenu. Un geste libre, détaché de toute obligation de sujet ou de point de vue, un geste qui inclut les femmes puissantes et les femmes criminelles, les Africains riches, les jeunes filles qui ne veulent pas aller en Afrique, les homosexuels, les Noirs américains, les Blancs et tous ceux dont on ne peut déterminer ni la couleur, ni l’origine, dont l’identité est trouble, définie avant tout, comme le dit Koffi lui-même, par leur MUSIQUE. Le geste d’un véritable auteur dramatique qui utilise le théâtre pour rejoindre la grande polyphonie du monde.[…]