Éloge de l’altérité

Conférence-spectacle théâtrale et musicale
Isabelle Pousseur

Éloge de l’altérité a été nominé dans la catégorie Meilleur spectacle aux Prix Maeterlinck de la Critique 2022
Créé lors du Festival Mouvements d’altérité, en octobre 2021 au Théâtre Océan Nord.

14 → 18/02 & 21 → 25/02

Bogdan Kikena en dialogue avec Isabelle Pousseur @Michel Boermans

« La mise en scène est un art
qui a besoin des autres »

Rencontre de Laurent Ancion avec Isabelle Pousseur pour la reprise d’« Éloge de l’altérité » Décembre 2022

Allergique à toute grandiloquence, Isabelle Pousseur mène depuis plus de 40 ans un travail de mise en scène et de pédagogie basé sur une intuition toute simple – en apparence – et qui tient en quelques mots : « Le théâtre est un art de l’autre ». C’est par l’écoute d’autrui, dit-elle, que tout se construit. Qu’il soit auteur, acteur, personnage ou spectateur, cet « autre » est celui qu’il s’agit d’observer, d’aimer et de porter en soi pour que naisse l’œuvre. « J’ai toujours eu conscience que travailler avec les autres, leurs idées et leurs désirs, rendait l’œuvre plus riche », explique la metteure en scène et directrice du Théâtre Océan Nord, en pleine reprise d’« Éloge de l’altérité », étonnant objet scénique qui explore toutes ces questions par le biais d’une « conférence-spectacle théâtrale et musicale ».

Au centre de l’action : Isabelle Pousseur elle-même, qui témoigne de sa pratique comme on ouvre une boîte aux trésors, chacun repartant avec des pépites au cœur.
« Éloge de l’altérité » se présente comme un voyage dans lequel conversation, récits, fiction et musique dialoguent constamment. Aux côtés des comédiens avec qui Isabelle Pousseur partage le plateau – Chloé Winkel, Francesco Italiano, Paul Camus, Amid Chakir, Bogdan Kikéna –, Jean-Luc Plouvier et son piano complètent la riche palette expressive d’un spectacle qui lorgne volontiers vers l’onirisme.
Créé en octobre 2021 dans l’élan du Festival « Mouvements d’altérité », cet ovni scénique a visé juste : nominé dans la catégorie « Meilleur spectacle » aux Prix Maeterlinck de la Critique, il a su également convaincre celles et ceux qui ne sont pas spécialistes du théâtre. Car l’art de l’altérité et de l’attention à l’autre se pratique dans bien des secteurs – dont celui de la santé, qui a témoigné de sa ferveur.
« Je suis aux anges », sourit Isabelle Pousseur. « Mon espoir, c’était que le spectacle ne raconte pas simplement une manière de travailler au théâtre, mais s’ouvre aussi à d’autres champs. »

Isabelle Pousseur © Michel Boermans

« Éloge de l’altérité », au (tout) début, est une « vraie » conférence que tu as donnée aux étudiants de La Manufacture, l’école de théâtre de Lausanne. Peux-tu nous rappeler le parcours qui l’a transformée en spectacle ?

En effet, initialement, tout est parti d’une conférence que j’ai donnée à La Manufacture, Haute École des Arts de la scène, en Suisse Romande. Le directeur m’avait demandé de me présenter aux enseignants et aux étudiants de l’école. Je me demandais bien comment m’y prendre… En y réfléchissant, l’idée m’est venue de présenter mon travail à partir de le la notion d’altérité et de décliner les différentes altérités rencontrées au cours de la mise en scène d’un spectacle. Il me semblait que cette notion rendait compte de la nécessité du théâtre. Je vois le théâtre comme une sorte de foyer où l’on peut toujours revenir questionner son rapport à l’altérité.

En 2013, cette conférence réexplorée est parue dans un numéro spécial d’Alternatives Théâtrales. Ma position y est celle d’une metteure en scène qui rend compte de sa pratique, à partir de sa position singulière. Et pour moi, le metteur en scène se trouve au centre d’une constellation d’altérités : celle de l’auteur, de l’acteur, du personnage et du spectateur. Cet enchâssement de regards « autres » constitue, selon moi, la plus grande partie du travail. S’interroger sur l’altérité, c’est explorer en quoi la mise en scène s’enrichit des autres, comment elle les intègre, les inclut et en dépend.

Ensuite, très rapidement, j’ai décidé de transformer cette conférence en entretien, à la fois parce que je trouve ça plus vivant mais aussi pour introduire une idée de transmission. Pour cela, je me suis inspirée de l’« Abécédaire » de Gilles Deleuze qui est interviewé par une ancienne étudiante à lui. J’ai donc proposé à Bogdan Kikéna, un jeune metteur en scène qui a été mon étudiant et mon assistant à l’Insas, d’être mon interlocuteur. Cette idée de conversation a vraiment lancé la théâtralité. Cette option relevait aussi d’un certain réalisme, puisque Bogdan et Guillemette Laurent, qui a pris en charge l’accompagnement artistique et le regard extérieur, m’ont vraiment envoyé des questions au fil du travail. En même temps, le spectacle n’est pas uniquement « réaliste », il y a des élans fictionnels, poétiques ou oniriques, à travers certains passages dont on laissera la surprise aux lectrices et lecteurs.

Qu’est-ce qui a motivé la reprise du spectacle ?

Comme la création s’est très bien passée, avec une belle presse, nous avons pensé que des personnes qui n’avaient pas eu l’occasion de le voir aimeraientt le découvrir. Le bouche à oreille peut fonctionner sur une reprise. Et je pense qu’un public non professionnel peut vraiment goûter à l’expérience. C’est un spectacle « spécialisé », dans le sens où il parle de théâtre, mais il n’est pas du tout réservé aux spécialistes. Nous avons eu énormément de retours de personnes évoluant dans un tout autre secteur que le théâtre et qui nous ont dit : « J’ai l’impression qu’on parle de moi ! » Mon espoir, c’était que le spectacle ne raconte pas simplement une manière de travailler au théâtre, mais s’ouvre aussi à d’autres champs.

Chloé Winkel et Francesco Italiano © Michel Boermans

La notion d’altérité, même si tu ne la nommais peut-être pas ainsi, t’accompagne-t-elle depuis tes débuts de metteure en scène ?

Je pense que cette idée est venue très vite, même si je ne l’ai vraiment formalisée qu’il y a une dizaine d’années. Quand j’ai fait mes premiers pas de pédagogue, au Conservatoire de Liège, j’avais 23 ans. Dans le groupe, certains étudiants étaient plus âgés que moi ! Je devais diriger leur projet, donc les mettre en scène, et cette responsabilité me faisait peur. Je n’avais jamais fait cela, je n’avais même pas fait ma première mise en scène, je doutais, j’étais tétanisée. Très vite, j’ai cherché une méthode qui me corresponde. Et j’ai senti que le souffle viendrait du groupe. J’aime beaucoup regarder les tentatives et les improvisations. On se stimule les uns les autres, on cherche ensemble. Le but, c’est de favoriser la créativité, l’imagination, la liberté et l’autonomie de chacun. Le guide, ce n’est pas moi : c’est le projet. Bien sûr, le metteur en scène est « l’œil » qui rassemble tout. Mais c’est l’altérité qui rend le travail théâtral possible. J’ai toujours eu conscience que travailler avec les autres, leurs idées et leurs désirs, rendait l’œuvre plus riche. Bien entendu, la figure du « génie solitaire et visionnaire » existe dans l’histoire du théâtre. On pense à Bob Wilson ou à Tadeusz Kantor par exemple. Pour ma part, je pense que la mise en scène est un art qui a besoin des autres.

Solange O’brayanne Muneme photographiée par Michel Boermans

La notion d’altérité est certainement l’un des fondements de notre condition humaine. En quoi l’expérience de cette altérité au théâtre peut-elle nous aider, en tant que spectateurs, dans notre vie de tous les jours ?

Ma première réponse restera dans le champ théâtral. Une des idées que je voulais faire passer, c’est que la pratique de la mise en scène n’implique pas la toute-puissance. Les clichés accrochés à cette profession sont nombreux, que ce soit dans des films ou au théâtre : le ou la metteur.e en scène est parfois dépeint comme quelqu’un d’hystérique qui hurle des choses incompréhensibles et désagréables ! Je ne dis pas que ça n’existe pas, mais ce n’est pas ce que j’ai vécu. Justement, il faut rappeler combien la recherche d’autres rapports rend l’expérience théâtrale plus riche et plus féconde. Autour de nous, il y a une foule de domaines où la question de la toute-puissance sur autrui est problématique. Je parle donc de ce que je connais – le théâtre –, mais je suis persuadée que ce genre de questions se pose partout.

Ensuite, je pense que l’altérité permet à tout travail de ne pas s’assécher. C’est l’idée de l’implantation du Théâtre Océan Nord à Schaerbeek, dès 1996. On n’est pas là pour prêcher la bonne parole, on est là parce qu’on a besoin des autres. Notre installation est motivée par l’envie impérieuse d’être en contact avec un public non professionnel, plutôt que s’enfermer dans une institution.

Enfin, l’altérité est une difficulté, parce qu’elle n’est pas pensable et maîtrisable d’avance. Elle déborde de ce qu’on pense soi, seul. Elle étonne, elle peut effrayer. Qu’est-ce que cet effroi de l’autre ? Et surtout, que se passe-t-il si on va quand même à sa rencontre ? Il y a bien sûr des endroits plus dangereux que le théâtre. Mais l’expérience que nous y partageons peut encourager à ce dépassement de la peur de l’autre. Il faut prendre un « risque » et oser sortir des protocoles et des programmes.

Parmi les spectateurs, cette idée a notamment inspiré des membres du Réseau 2, qui regroupe, à Bruxelles et en Wallonie, une trentaine d’institutions du champ de la santé mentale et du handicap. Ils ont décidé de lancer une journée d’études avec pour fil rouge la notion d’altérité…

Je suis bien sûr très heureuse de ces rencontres. Je rêve depuis longtemps que le théâtre inspire d’autres lieux. Ces spécialistes de la santé mentale m’ont dit qu’une résonnance s’était imposée d’emblée, en écho avec leurs pratiques cliniques de psychanalystes et de travailleurs en institutions. Comment maintenir l’altérité au cœur de la pratique d’accompagnement de personnes en difficulté psychique et sociale ? « Rien de simple », m’écrivent-ils, « à notre époque où la pression est forte pour agir à partir de guidelines ou de bonnes pratiques ».

Chloé Winkel, Francesco Italiano et Paul Camus – @Michel Boermans

Sous sa forme de « conférence-spectacle théâtrale et musicale », « Éloge de l’altérité » ne ressemble à rien de connu…

Ça, c’est sûr ! Mais c’est justement cela qui m’anime. J’avais besoin de travailler une forme différente. Et j’ai été d’autant plus heureuse quand j’ai vu que cette parole pouvait être partagée et reçue. À la première, j’étais vraiment dans mes petits souliers !

Le spectacle, nominé dans la catégorie « Meilleur Spectacle » aux Prix Maeterlinck, a aussi convaincu les professionnels du secteur. « Un spectacle chaleureux, intelligent, passionnant, qui fera date dans l’histoire du théâtre belge », écrit notamment « Le Vif ». Pour quelqu’un qui a érigé le doute en art, cela montre la justesse du chemin ! Est-ce que cela te rassure un peu ?

Oui, c’est même plus que rassurant ! Cela m’indique en tout cas que je ne me suis pas trop trompée en pensant que cette « conférence théâtrale et musicale » pouvait générer un certain type d’écoute. J’ai toujours aimé rencontrer le public et parler de mon travail. Non pas par prétention, mais simplement parce que je crois à la transmission de la passion. C’est autre chose que de transmettre des connaissances. Quand je mets en scène ou quand je donne cours, je me transmets « en travail », c’est-à-dire que je ne me positionne jamais en surplomb, avec l’idée de transmettre ma science depuis un piédestal ! Le contenu est fait de questions, de doutes, de mes interrogations. Et je suis convaincue que les spectateurs aiment soulever un coin du voile, scruter les coulisses. Parce que ce sont des récits qui font lien entre le théâtre et la vie.

Isabelle Pousseur, Bogdan Kikena et Jean Luc Plouvier @michel Boermans

As-tu l’impression, à travers ton travail, de trouver des perspectives, de t’approcher de ce qu’est l’âme humaine ? Ton chemin, toujours en question, évoque la phrase de Büchner : « L’homme est un abîme, on a le vertige quand on se penche dessus. »

Cette phrase peut évoquer le vertige de l’humanité qui nous saisit quand on fait du théâtre. Pour moi, elle résume bien la rencontre avec l’autre qui s’y joue. Je l’utilise souvent pour parler du rapport au personnage. Quand on est face à une fiction, le travail, à un moment donné, devient vertigineux, parce que cette fiction finit par nous posséder et nous hanter. À force de faire des liens qui permettent aux personnages d’advenir, on est face à des « existants » presque aussi importants que les vraies gens ! Si tu mènes un travail profond et sincère, tu ne peux qu’être touché, parce que c’est une rencontre avec des fantômes de plus en plus réels. En travaillant Franz Kafka, Hubert Selby Jr, Georg Büchner, Sarah Kane et bien d’autres, tu te dis que tu es à un endroit exceptionnel de contact avec l’humain. Ce n’est pas le seul dans le monde. Pour moi, les deux grands domaines de l’humanité, c’est la psychiatrie et la justice. Ils me fascinent. Je n’aurais jamais pu devenir psychiatre ou magistrate, mais je trouve que ce sont des endroits de mise à nu de l’humanité. Et le théâtre en est un autre.

Calendrier
14 → 18/02 & 21 → 25/02
Mardi 14/02 – 20:00h
Mercredi 15/02 – 19:30h
Jeudi 16/02 – 13:30h
Vendredi 17/02 – 20:00h
Samedi 18/02 – 18:00h

Mardi 21/02 – 20:00h
Mercredi 22/02 – 19:30h
Jeudi 23/02 – 20:00h
Vendredi 24/02 – 20:00h
Samedi 25/02 – 18:00h

Rencontre avec l’équipe artistique
Jeudi 16/02 à l’issue de la représentation de 13:30h

Durée : 3h avec une courte pause

Conception et texte Isabelle Pousseur Avec Isabelle Pousseur, Paul Camus, Amid Chakir, Francesco Italiano, Bogdan Kikena, Chloé Winkel & Jean-Luc Plouvier, piano

Accompagnement artistique & regard extérieur Guillemette Laurent – Assistante Alyssa Tzavaras – Scénographie Christine Gregoire – Eclairage, photos et vidéo – Michel Boermans – Création son Laure Lapel – Création costumes et accessoires Laura Ughetto assistée de Solène Valentin  – Chorégraphie Nadine Ganase – Répétitrice Filipa Cardoso – Régie générale Nicolas Sanchez – Régie son Simon Dalemans – Régie lumière Léo Monvoisin – Entretien costumes Faustine Boissery

Avec la participation de  Aminata Abdoulaye Hama, Julien Beckers, Madeleine Camus, Gaëtan Charbonnier, Romain Cinter, Noé Englebert, Timothée Journot, Louise Moret, Djo Ngeleka, Solange O’brayanne Muneme,  Emmanuelle Gilles-Rousseau, Ibrahima Diokine Sambou (Papis), Souad Toughraï

Un spectacle créé lors du Festival Mouvements d’altérité, en octobre 2021 au Théâtre Océan Nord.

Production Théâtre Océan Nord en coproduction avec La Coop asbl et Shelter Prod
Soutien Fédération Wallonie Bruxelles service Théâtre, Loterie Nationale, taxshelter.be, ING et Tax Shelter du Gouvernement fédéral belge, COCOF ( Fonds d’acteur)

Billetterie
La billetterie ouvre 45 minutes avant le début de la représentation
Vous pouvez payer en liquide ou bancontact

billetterie@oceannord.org
02 216 75 55

Les tarifs

Bar
Le bar est ouvert 45 minutes avant le début des représentations. Nous proposons des boissons et petites restaurations.

Pour aller plus loin…
>> Le texte d’Éloge de l’altérité sera disponible à notre librairie au prix de 5 €
>> Hors série de la revue Alternatives théâtrales : Le Théâtre art de l’autre – septembre 2013
>> En partenariat avec la Librairie Tropismes, le Théâtre Océan Nord vous propose des ouvrages en lien avec le spectacle et la saison avant et après chaque représentation.

Spectacle chaleureux, intelligent, passionnant – qui fera date dans
l’histoire du théâtre francophone belge – cet Éloge de l’altérité nous
réunit autour d’un amour de la scène et de ces incroyables expériences
humaines que sont la rencontre et le partage
.
Nicolas Naizy – Focus Vif 19/10/21

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Le souhait d’Isabelle Pousseur avec cette conférence-spectacle était d’inclure
dans cette réflexion sur l’altérité au théâtre “la possibilité de penser
autre chose que le théâtre : une vie collective”. C’est peu dire qu’elle y
parvient tant Éloge de l’altérité expose, analyse, condense l’essence du
rapport humain.(…)
L’harmonie de la composition, toute écrite qu’elle soit, englobe l’immense
générosité du propos et laisse couler la spontanéité d’un théâtre
en perpétuel questionnement de lui-même, en constante construction
de ce qui l’habite et de sa façon d’habiter la cité et le monde. Bouleversante
nourriture pour nous qui, ici, maintenant, nous donnons la
chance d’y goûter.

Marie Baudet – La Libre Belgique 22/10/2021